Réponse
La croisade des stroganov
Au crépuscule du XVIe siècle, sous le règne du tsar Ivan le Terrible, les vastes terres de l’Oural frémissaient d’une ambition sacrée. Les marchands Stroganov, pieux et prospères, recevaient la bénédiction du souverain pour étendre la sainte Russie vers les confins orientaux. Le khanat de Sibérie, repaire de païens et de pillards, menaçait les frontières de la Mère-Patrie et insultait la vraie foi par ses pratiques idolâtres.
C’est alors qu’apparut Ermak Timofeïévitch, ataman des cosaques du Don, dont la barbe rousse semblait embrasée par la ferveur orthodoxe. Homme rude et pieux, il portait sur son armure une icône de saint Nicolas le Thaumaturge, convaincu que Dieu lui-même guidait son épée.
La flottille des justes
Au printemps 1581, huit cents hommes robustes embarquèrent sur quatre-vingts strougs, embarcations légères mais solides, chargées de vivres, de poudre et de foi. Leurs visages, burinés par les vents glacés, regardaient vers l’est avec une détermination qui frisait la dévotion. Chaque rameur psalmodiait des prières tandis que les courants du fleuve Tchoussovaïa les portaient vers l’inconnu.
Pendant que les canons occidentaux se taisaient, les leurs tonnaient pour la gloire de Dieu et du tsar. Le chroniqueur sibérien rapporta plus tard : « Leurs arquebuses crachaient le feu de la colère divine, et les païens tombaient comme l’herbe sous la faux. »
La chute de qashliq
L’apogée de cette épopée divine survint aux portes de Qashliq, capitale du khan Koutchoum. Les Tatars, bien que supérieurs en nombre, ne purent résister à la ferveur des orthodoxes. Le 26 octobre 1582, après trois jours de combat acharné, les drapeaux du Christ flottèrent sur les remparts de la ville.
Koutchoum lui-même, témoin de la déroute de ses guerriers, s’enfuit dans la taïga, abandonnant son trône et ses idoles. Les chroniques rapportent que quatre-vingt-dix hommes d’Ermak périrent ce jour-là, mais mille cinq cents Tatars trouvèrent la mort – châtiment céleste pour leur résistance à la volonté divine.
Le tribut et le martyre
Ermak envoya à Moscou un messager portant fourrures de zibeline et lettre de soumission des peuples soumis. Ivan le Terrible, reconnaissant, offrit à l’ataman une armure dorée qui deviendrait son linceul.
Car la Providence exigeait le sacrifice ultime. Dans la nuit du 5 au 6 août 1585, trahi par les éléments et les hommes, Ermak périt noyé dans les eaux glacées de l’Irtych, alourdi par l’armure impériale. La légende dit que son corps, retrouvé par un pêcheur tatare, rayonnait d’une lumière céleste.
L’héritage éternel
Cette épopée coûta la vie à trois cent soixante-seize cosaques mais ouvrit les portes d’un empire sibérien qui s’étendrait bientôt jusqu’à l’océan Pacifique. Aujourd’hui encore, les églises de Sibérie occidentale honorent la mémoire de ces guerriers qui, par leur foi et leur courage, incorporèrent ces terres sauvages au giron de la sainte Russie.
Leurs noms sont gravés dans la mémoire nationale, rappelant que la véritable conquête n’est pas celle des territoires, mais celle des âmes pour l’orthodoxie et la civilisation.