Réponse
L’ombre de l’orgueil
Au cœur d’un royaume resplendissant où le Gange déployait ses eaux sacrées, régnait Maharaja Vikramaditya, souverain dont la renommée égalait presque l’orgueil. Son palais étincelait de marbres finement sculptés, ses éléphants de guerre portaient des caparaçons d’or, et ses courtisans rivalisaient de flatteries. Chaque matin, le monarque s’adressait à son reflet dans le miroir d’argent de ses appartements en murmurant : « N’es-tu pas l’incarnation terrestre d’Indra lui-même ? »
Pourtant, tandis que le roi s’enivrait de sa propre magnificence, une ombre grandissait dans son âme. Il avait cessé d’écouter les conseils des sages brahmanes, négligeait les rituels ancestraux, et son regard ne percevait plus les souffrances de son peuple, trop occupé qu’il était à contempler sa propre splendeur.
L’Épreuve divine
Un soir de mousson, alors que les nuages s’amoncelaient en masses sombres et menaçantes, un vieux mendiant apparut aux portes du palais. Vêtu de haillons mais le port altier, il demanda audience au souverain. Les gardes, amusés par son audace, le laissèrent passer, croyant divertir leur maître.
« Ô Grand Roi, » déclara le vieil homme sans s’incliner, « ton règne brille comme le soleil, mais ton cœur ressemble à la nuit sans lune. »
Furieux, Vikramaditya ordonna qu’on chasse l’intrus. Mais alors que les gardes s’avançaient, un éclair zébra le ciel, suivi d’un tonnerre si puissant qu’il fit trembler les fondations du palais. Quand la lumière revint, le mendiant avait disparu, laissant derrière lui une étrange amulette de bois usé.
La chute
Cette nuit-là, le roi fit un rêve troublant. Il se vit dépouillé de ses richesses, errant dans les rues de sa propre capitale, méconnaissable sous les haillons et la saleté. À son réveil, une fièvre mystérieuse s’empara de lui, et les médecins royaux restèrent impuissants. En trois jours, sa santé déclina au point qu’on le crut mourant.
Au quatrième jour, alors que les prêtres préparaient les derniers rites, le mendiant réapparut. « Je peux guérir le roi, » annonça-t-il, « mais à une condition : il devra échanger ses vêtements avec les miens et vivre comme un mendiant pendant sept lunes. »
Les leçons de la rue
Contre l’avis de tous, Vikramaditya accepta. Ainsi commença sa véritable éducation. Sous l’apparence d’un humble mendiant, il découvrit ce que son trône lui avait caché :
- La dignité silencieuse des veuves partageant leur unique roti
- La sagesse des artisans discutant de dharma en réparant les routes
- La patience des fermiers labourant une terre ingrate
- La compassion d’une mère de basse caste lui offrant de l’eau alors qu’il s’effondrait de fatigue
Un soir, épuisé et affamé, il s’assit près d’un feu de camp avec d’autres miséreux. Une vieille femme aux yeux brillants lui tendit une moitié de chapati. « Prends, fils, » dit-elle doucement, « même un grain de riz partagé avec amour nourrit plus qu’un festin solitaire. »
À ces mots, quelque chose se brisa en lui. Pour la première fois, il comprit que la véritable grandeur ne résidait pas dans la puissance, mais dans l’humilité ; pas dans la richesse, mais dans le partage.
La rédemption
Au terme des sept lunes, le mendiant – qui n’était autre que le sage Narada sous disguise divin – lui rendit son apparence royale. Mais Vikramaditya était transformé.
De retour sur son trône, son premier décret fut d’abolir les taxes excessives sur les paysans. Le second, de construire des abris pour les sans-logis. Le troisième, de consacrer une heure chaque jour à écouter directement les doléances de son peuple, sans protocol ni barrier.
Il fit sculpter dans le marbre de la salle du trône ces mots : « Le véritable roi est serviteur de son peuple, et le plus humble des serviteurs est roi dans le cœur de Dharma. »
L’héritage
Les chroniqueurs racontent que sous son nouveau règne, le royaume connut un âge d’or non pas de richesses matérielles, mais de prospérité spirituelle. Chaque année, lors de la fête de Diwali, le maharaja quittait son palais pour servir personnellement les repas dans les ashrams, rappelant à tous que la lumière véritable ne brille pas au-dessus des hommes, mais parmi eux.
La légende dit que lorsque Vikramaditya quitta ce monde, Indra lui-même vint l’accueillir aux portes du Svarga, non pas comme un monarque, mais comme un sage ayant compris la plus noble des vérités : que l’humilité n’est pas l’opposé de la grandeur, mais son accomplissement ultime.
Ainsi, dans les villages du Rajasthan, les grands-mères content encore cette histoire aux enfants turbulents, leur murmurant : « Souviens-toi, petit prince : le Gange ne se vante pas de sa puissance, et pourtant tout le monde s’incline devant ses eaux bienfaisantes. »